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Le premier discours que Lama Yéshé donna à sa Sangha, en 1973 : “Conseils pour les moines et moniales”.

A l’époque du cinquième cours de méditation de Kopan, en novembre 1973, dix étudiants bouddhistes occidentaux avaient demandé la permission à Lama Yéshé d’être ordonnés. Lama suggéra qu’ils reçoivent leur ordination le mois de janvier suivant, à Bodhgaya, après que Sa Sainteté le Dalaï Lama eut donné l’initiation de Kalachakra. Lama réunit dans sa chambre ces dix futurs moines et moniales, ainsi que cinq ou six de ses étudiants, qui avaient déjà été ordonnés, et donna le conseil suivant.

Ce fut le premier discours que Lama donna à sa Sangha :

“Aujourd’hui, je veux exprimer mes impressions à mes sœurs et mes frères, parce que ce que nous sommes en train de voir ici est une explosion d’énergie, très remarquable, révolutionnaire. Mais c’est une révolution intérieure et non extérieure. Cela m’a donné beaucoup à réfléchir et également une très très bonne impression.

Je me sens une sorte de responsabilité intuitive pour la décision que vous avez prise de vivre dans le Dharma. Ainsi, j’ai beaucoup réfléchi à comment vous pouvez intégrer vos vies au Dharma, afin que vous puissiez continuer à faire l’expérience de cette énergie interne révolutionnaire, sans interruption, et développer vos esprits jusqu’à leur potentiel illimité.

Mon sentiment est qu’il serait bien mieux que la Sangha reste ensemble, communiquant les uns avec les autres, plutôt que des personnes recevant l’ordination et partant chacune de leur propre côté. Si vous partez tout seul, des conditions mondaines vont rendre votre vie difficile. Il vous sera bien plus difficile de pratiquer le Dharma.

Par exemple, quand la Sangha est ici à Kopan, nous aidons ses membres à vivre une vie monastique. Il y a toujours des lamas présents, et par conséquent, nos étudiants reçoivent une sorte d’énergie qui les aide à contrôler leurs esprits, afin qu’il soit facile pour eux de garder leur ordination. Si, par contre, ils partent en courant et résident dans un autre lieu, où il n’y a pas d’aussi bonnes conditions, leurs vies deviennent très difficiles. Si, en plus de cela, ils tombent malades, la survenue conjointe de problèmes internes et externes rend leurs vies encore plus difficiles.

Comme vous le savez, ce n’est pas juste parce que vous êtes un moine ou une moniale que cela signifie que vous avez atteint l’éveil. Cela signifie juste que vous avez acquis une compréhension de la nature du samsara et que vous avez décidé de travailler continuellement pour développer, en vous, le chemin de la paix et de la libération durables. C’est tout. Recevoir l’ordination ne vous donne pas un contrôle immédiat sur votre esprit ; cela ne signifie pas que vous êtes complètement libérés. Il n’en est pas ainsi.
Nos esprits sont incontrôlés. Nous avons besoin de les contrôler. La vie monastique nous permet de développer nos esprits d’une manière très confortable jusqu’à ce que nous ayons vraiment atteint un contrôle complet dessus, et que nous ayons acquis une sagesse-connaissance tellement forte que, même si nous devions aller dans un endroit de fou-furieux, nous serions capables de contrôler cette énergie de fou-furieux plutôt que ce soit elle qui nous contrôle.

Pour nous, débutants, le désir de réaliser la libération durable et empreinte de paix est juste comme la graine d’une fleur. Une graine de fleur a besoin d’être entretenue, arrosée, maintenue au chaud, fertilisée – beaucoup de choses sont nécessaires. L’eau seule ne suffit pas, elle a besoin d’engrais. De même, nous avons besoin des enseignements du Dharma. Si nous recevons des enseignements et faisons des retraites, nous pouvons nous réveiller de façon fantastique ; une énergie ardente s’élève toujours. Sinon, nous sommes comme des fleurs, qui n’ont reçu que quelques gouttes d’eau ; quand des problèmes surgissent, il nous est difficile d’y faire face. Nos esprits sont comme des fleurs ; nous devons en prendre bien soin.

Au Tibet, les laïcs prenaient soin de la Sangha. Ils avaient un grand respect pour la Sangha parce qu’ils savaient que, bien qu’elle fasse l’expérience de conditions difficiles, la Sangha remplissait son devoir. Par « conditions difficiles », je ne veux pas dire que les gens les battaient. Leur esprit perturbé les battait, leur esprit perturbé n’avait pas envie d’être confronté à la sagesse. Les laïcs savaient que la vie de la Sangha était difficile, mais qu’elle en valait la peine. Ils respectaient donc la connaissance interne de la Sangha, son contrôle. C’est pourquoi la Sangha était très soutenue au Tibet.

Pour nous, ce n’est pas comme cela ; nous devons prendre plus de responsabilité vis-à-vis de nous-mêmes. Quelque soit l’endroit où vit notre Sangha occidentale, même en Inde ou au Népal, ce n’est pas si différent de l’Occident. Je veux dire, vous mangez de la nourriture occidentale – vous ne pouvez pas vivre comme des indiens ou des népalais. Par conséquent, nous avons besoin de trouver une façon d’arriver à mêler mode de vie occidental et Dharma.

Vous avez besoin de café, prenez un café. Vous avez besoin de thé sucré, prenez un thé sucré. Vous avez besoin de médicaments, prenez des médicaments. Vous avez besoin de gâteaux, peut-être mangez un gâteau ! Vous avez certaines habitudes, vous avez un héritage particulier, vos corps ont été habitués à certaines choses. Nous ne pouvons pas vous dire de manger uniquement de la tsampa, de boire seulement du thé tibétain, et de ne pouvoir rien avoir d’autre.

Nous ne pouvons pas vous contraindre comme cela. Et vous n’avez pas besoin de tels changements externes ; vous n’avez pas besoin de vous axer sur la suppression d’un certain type de nourriture, sur l’abandon des choses auxquelles vous êtes habitués. Vraiment, ce n’est pas nécessaire. Il est plus important de fournir à votre corps ce à quoi il est habitué, ce dont il a besoin pour rester en bonne santé. C’est plus important que : « Oh, je suis un renonçant – Je devrais renoncer à ceci, je devrais abandonner cela. » Ce n’est pas comme cela. Le renoncement devrait se situer plus dans l’esprit qu’à un niveau matériel. « Je veux renoncer à mon portefeuille. S’il vous plaît, prenez-le! » Cela rend juste les choses plus difficiles, mes chers. OK. Je pense que vous, vous avez compris ceci.

Comme je le mentionnais, je sens que ce qui est en train de se passer ici est remarquable, et j’ai réfléchi à cela, réfléchi à cette remarquable énergie et à comment la faire perdurer. Ainsi, je me soucie un peu… enfin, quand je dis « je me soucie », je ne veux pas dire que je souffre. Peut-être que « préoccupé » est un meilleur mot – je suis très préoccupé. Je pense donc que nous avons besoin de quelques règles. Bien sûr, nous avons nos trente-six préceptes, mais en plus de ceux-là, nous avons d’autres règles : les règles du gouvernement, les règles du monastère, les règles du cours de méditation. Par exemple, pendant le cours, vous devez vous lever à une certaine heure, avoir des repas à certains moments, faire ceci, faire cela. Ces règles ne sont pas incluses dans les trente-six préceptes, n’est-ce pas ? Mais quand même, elles sont nécessaires si vous vivez dans un certain contexte. Nous posons ce type de règles, n’est-ce pas ? Vous ne pouvez pas les rejeter : « Qui a fait ces règles ? Pourquoi devrais-je me lever à 5h30 du mat’ et prendre un café ? Qui a dit cela ? Le Seigneur Bouddha n’a jamais dit cela. » Bon, cela n’a pas d’importance si le Seigneur Bouddha a dit ces mots ou pas ; de telles règles sont nécessaires à la vie en communauté.

Nous devons introduire une sorte de petite discipline lors de la création d’une Sangha. Par exemple, quand vous devenez moine ou moniale, vous n’êtes pas autorisés à vous attarder dans des situations trop samsariques, comme être dans des lieux où il y a beaucoup de danses et de boissons. Il est très dangereux de fréquenter de tels lieux. Mener votre esprit trompeur dans des lieux samsariques est comme approcher un morceau de papier du feu. [Ici Lama approche un morceau de papier de plus en plus près d’une bougie sur sa table jusqu’à ce qu’il s’enflamme.] Vous êtes bien à distance, mais si vous vous approchez trop près du feu, vous allez vous brûler. Les matériaux inflammables devraient être tenus loin du feu, et nous, débutants, devrions nous tenir loin des situations dangereuses.

Comme je l’ai dit auparavant, quand vous devenez moine ou moniale, cela ne signifie pas que vous êtes libérés ou éveillés. Cela signifie simplement que vous avez décidé d’agir d’une certaine manière afin de pouvoir finalement atteindre le contrôle parfait, la libération, la liberté – il y a tant de mots, peu importe celui que vous utilisez. En quelque sorte, vous êtes à la recherche de cela. Vous prenez l’ordination parce que vous comprenez qu’il y a une meilleure façon de trouver de la joie dans la vie. C’est pourquoi nous faisons ce type de règles pour la Sangha.

Prenez par exemple Bodnath. Bodnath est un lieu saint, mais beaucoup de personnes, particulièrement des népalais et des tibétains, le considère aussi comme un lieu pour boire, un lieu où les hommes et les femmes se retrouvent pour le plaisir. Ils font du tchang (bière tibétaine) là-bas. Je ne sais pas réellement si cela est vrai ou pas, mais c’est ce que disent les gens. Il y a probablement des endroits comme cela à Katmandou également. En réalité, vous, vous savez ceci mieux que moi. Quand j’essaie d’expliquer le samsara, vous devez probablement penser : « De quoi parle ce lama ? Je peux décrire ceci mieux que lui. » Je plaisante !

De toutes façons, si un moine reste dans ce genre d’endroit, ses amis de la Sangha devraient lui dire : « Mon cher, pourquoi vis-tu dans cette affreuse situation? Tu sais que tu n’es pas autorisé à rester là. Ne serait-il pas mieux que tu viennes et restes dans un endroit plus calme ? Puisque tu fais partie de la Sangha, tu serais sûrement mieux au monastère. »

Quand des membres de la Sangha partent d’ici et rentrent chez eux, ceux qui restent devraient rester en contact avec eux, afin que même s’ils sont partis, ils se sentent toujours près de leurs frères et sœurs de Dharma. Sinon, ils pourraient commencer à penser : « Oh, maintenant je suis seul. Je peux faire tout ce que je veux. Auparavant j’étais dans la Sangha de mon maître, mais maintenant que je suis de retour dans mon pays, je suis libre. » Vous pouvez sentir qu’il est possible que cela arrive, n’est-ce pas ? Je ne suis pas simplement négatif : la possibilité est bien là, mes chers, OK ? Par conséquent, nous avons besoin de développer une forte énergie de groupe au lieu de permettre à la Sangha de se séparer et à chacun, de suivre sa propre voie.

Je pense que nous devrions créer une communauté spécifique pour la Sangha occidentale. Mais ne pensez pas que je sois juste en train de parler de vous quinze dans cette pièce. Vous pouvez imaginer ce qu’il va se passer. Maintenant nous avons cette Sangha ; après le prochain cours de méditation, il y aura plus de personnes dans cette Sangha. Et ensuite, après le suivant encore plus. Après quelque temps, nous devrions être forts de 100 000 membres ! C’est possible. Je veux dire que la sagesse du Dharma est là, n’est-ce pas ? Donc c’est possible. Ainsi, nous avons besoin, d’une certaine manière, de développer une forte unité, et de cette façon, nous serons capables de pratiquer le Dharma facilement, sans être dépassé par des conditions mondaines agitées.

Un simple exemple : quelques membres de la Sangha montent à Kopan. Nous n’avons pas de bonnes conditions ici. Donc ils ne se sentent pas bien et génèrent des sentiments négatifs, pensant : « Ce n’est pas possible de séjourner au monastère. Je dois trouver une maison pour moi, pour mener ma propre vie samsarique. » C’est possible. Nos esprits réagissent à des causes tellement dérisoires. Par conséquent, nous devons discuter de comment faire face au monde, comment intégrer le Dharma dans notre mode de vie.

Si les moines et les moniales ont des difficultés juste à maintenir leur vie matérielle équilibrée, comment pourraient-ils jamais avoir la possibilité d’étudier et de faire des retraites ? La force de la Sangha est de veiller à ce que tout le monde ait une chance d’étudier et de faire des retraites, de s’assurer que chacun aille bien et de minimiser les conditions externes, qui occasionnent la perte de la discipline mentale. Je pense que cela vaut vraiment la peine. Cela aide beaucoup. Il y a une vibration de la Sangha, vous voyez. Quand vous vous regardez les uns les autres, il y a une vibration, qui vous aide automatiquement à contrôler votre énergie. Vous devriez examiner ceci pour vous-mêmes.

Si vous restez dans un lieu où tout le monde boit, au départ, vous allez en quelque sorte intellectualiser. « Ils sont comme cela, je suis comme ceci. » Cela pourrait aller pendant un moment, mais je ne suis pas en train de parler de ce qui se passe à un niveau intellectuel. Dans le subconscient, au niveau intuitif, quelque chose d’autre se passe et, tôt ou tard, hop ! Juste comme le papier prend feu quand il se trouve trop près de la flamme, vous vous faites complètement happer par tout ce qui se passe autour de vous. Comme je le dis toujours, l’esprit est juste comme un miroir. Il reflète automatiquement tout ce qui est devant lui.

Intellectuellement, votre esprit est en train de se dire : « Oh, c’est le samsara. » mais quelque soit ce avec quoi vous entrez en contact, cela laisse une empreinte dans votre esprit. Ainsi, le jour vient où vous êtes un petit peu fatigué, vous avez un petit peu soif, et donc vous prenez un petit verre – un petit, tout petit verre. « Hum, c’était bien bon. J’avais un peu soif et j’ai pris un petit verre. Aucun mal de fait. ». Mais ce n’est que le début. Vous savez comment sont les enfants avec les bonbons. Ils en mangent un. «Ouah! C’était bon ! ». Ensuite, ils en veulent plus… et plus… et plus… et plus… comme cela. Bien, vous, vous le savez. Je suis juste en train de donner un exemple. Vous savez tout aussi bien que moi comment fonctionne l’esprit dans ce genre de circonstances.

Les conditions dans lesquelles vous vous mettez sont très très importantes. Le mode de vie des laïcs et celui de la Sangha sont différents. Vous devriez, d’une manière ou d’une autre, discriminer, n’est-ce pas ? Je ne suis pas seulement en train de montrer du doigt négativement « Oh, cela est mauvais. » Le style de vie des laïcs est leur propre chemin, mais notre mode de vie, c’est tout autre chose. Notre mode de vie est fixé par les trente-six préceptes. Vous avez à discriminer. Si vous ne le faites pas, alors vous n’êtes pas différents d’un fou. Les fous ne peuvent pas faire la différence entre bien et mal. Nous, nous devons être capables de faire la distinction. Par exemple, le métier d’un boucher est de tuer, mais notre métier est différent, n’est-ce pas ? Le mode de vie du boucher et celui de la Sangha devraient être différents, n’est-ce pas ? Si quelqu’un m’accuse alors de discriminer, je dirai : « Oui ! Je discrimine. » Tant que vous n’avez pas transcendé la discrimination, vous devriez discriminer. Bien sûr, vous pouvez argumenter avec des mots de plein de manières différentes, mais ultimement, les mots ne signifient rien. Nous avons besoin de la sagesse discriminante.

De toutes façons, tout ceci est seulement mon opinion, mon ressenti. Personne ne m’a demandé de vous dire tout ceci, et ce n’est pas non plus un jeu de l’égo. J’ai juste senti qu’étant donné que votre compréhension du Dharma vous a mené à la conclusion que vous voulez être ordonnés, je devais exprimer mes impressions sur la façon dont les choses évoluent. Les occidentaux ne sont pas stupides ; ils peuvent examiner, ils peuvent voir. Si vous, en tant que moines et moniales occidentaux, avez une bonne attitude, vous comportez bien et développez une Sangha forte avec une unité de groupe, les occidentaux vous respecteront. Ils auront le sentiment que cela vaut la peine que des occidentaux intègrent la Sangha. Ils pourraient même vouloir vous aider.

Ainsi la conclusion est que vous pouvez choisir votre propre mode de vie, sans tenir compte de ce que les autres personnes de votre pays ou de votre société font. Nous avons le choix. Nous pouvons regarder les choses avec sagesse ; nous pouvons les examiner. Par exemple, nous venons ici à Kopan et nous créons nos propres conditions. Cela n’a rien à voir avec le gouvernement népalais. Ils ne nous disent pas quoi faire. Nous-mêmes, nous nous assurons d’avoir des enseignements, nous nous assurons que tout le monde aille bien, nous nous assurons que nous travaillons ensemble pour accomplir nos objectifs. En conséquence, nous créons notre propre monde. Avec les bonnes conditions, il devient aisé pour nous de faire ce que nous voulons faire. C’est tout.

Maintenant que j’ai exprimé mes impressions, vous devriez discuter entre vous sur comment créer une forte unité dans la Sangha. Ne pensez pas que je sois attaché au fait de vous garder à Kopan. Ne pensez pas que je sois accroché à cela. Tant que vous maintenez une forte unité dans la Sangha, le lieu où vous vivez ne m’importe pas. Vous devriez créer ce type de conditions. Pensez avec sagesse et soyez forts.”

Colophon : Enseignement de Lama Yéshé, décembre 1973. Extrait de Conseils pour les moines et moniales, publié en anglais par LYWA. Traduit de l’anglais au français par Sonia Guillot, Catherine Cipan et la Vén. Lobsang Détchèn du Service de traduction francophone de la FPMT, juillet 2015.

Photo : Lama Yéshé à Kopan, 1973, LYWA.